12. Punition méritée

Alice entendit la sirène hurler vers cinq heures du matin. Un certain nombre de coups, plusieurs longs et quelques courts. Elle était trop ensommeillée pour compter et, de toute façon, elle n’avait jamais retenu leur signification. Riley le savait, elle.

Alice jeta un regard vaseux par la fenêtre, pour vérifier qu’aucun ouragan ou tsunami ne les menaçait, et en conclut qu’un gars avait encore succombé à une crise cardiaque, réelle ou imaginaire. Les deux se produisant assez fréquemment dans le coin. Bercée par le « tchack tchack » de l’hélicoptère d’évacuation sanitaire, elle se blottit dans la chaleur de Paul et se rendormit profondément.

En rentrant chez elle pour se recoucher avant que ses parents ou sa sœur ne s’aperçoivent de son absence, elle remarqua un désordre inhabituel dans la maison. Le répondeur clignotait comme un fou. Le lit de Riley était vide, ce qui n’était pas étonnant, mais celui de ses parents aussi. Comment se faisait il qu’ils soient sortis à cette heure ci ? Elle paniqua d’abord en pensant qu’ils avaient découvert qu’elle n’était pas là, mais quand elle vit l’état du placard de sa mère, son peignoir gisant par terre, son inquiétude prit une autre tournure : il y avait un problème.

– Y a quelqu’un ? lança-t-elle dans les escaliers. Hou, hou ! cria-t-elle dans tous les recoins de la petite maison.

Personne dans la salle de bains. Personne nulle part. Pas de réponse.

Le cœur battant, elle retourna en courant dans la cuisine et alluma la lumière. Cette fois, son regard tomba aussitôt sur le mot laissé en évidence sur le plan de travail, écrit tout de travers.

Alice, nous sommes au Bon Samaritain avec Riley. Appelle sur mon portable.

Elle se jeta sur le téléphone de la cuisine, peinant à enfoncer les touches de ses doigts tremblants. C’était un de ses cauchemars récurrents : elle devait passer un appel urgent et n’arrêtait pas de se tromper de numéro.

Le Bon Samaritain. Le Bon Sam, comme on l’appelait. Bizarre de donner un surnom à un hôpital. C’était Riley. Riley ou bien son père ? Le téléphone bourdonnait à son oreille.

– Alice ? répondit la voix de sa mère.

– Maman ? Qu’est ce qui se passe ?

Il y avait beaucoup de bruit de fond et la communication était mauvaise. Alice ?

– Oui ! hurla-t-elle dans le combiné. C’est moi ! Qu’est ce qui s’est passé ?

– C’est Riley, ma chérie. Elle…

Le reste de la phrase se perdit dans le vacarme d’une annonce au hautparleur.

– Elle quoi ? Qu’est ce qu’elle a ?

– Elle avait du mal à respirer hier soir. On a cru que c’était une pneumonie ou de l’asthme. Mais ils pensent qu’elle a un problème cardiaque.

Alice repensa à la sirène hurlant au milieu de la nuit. Cette sirène qu’elle avait écoutée tranquillement, toute nue, blottie contre Paul. Un frisson la parcourut. Le spectre de la culpabilité remontait des profondeurs pour la hanter. C’était sa punition, elle l’avait méritée, elle avait tenté le sort.

Sa mère avait la voix rauque, épuisée.

– D’après les médecins, elle a une valve abîmée. Ils cherchent ce qui a pu causer cela.

– Mais comment peut-on avoir des problèmes cardiaques à son âge ? s’étonna Alice.

– Je ne sais pas. C’est ce qu’ils essaient de comprendre.

– Comment réagit elle ? Elle est consciente ? Comment se sent-elle ?

– Oui, oui, elle est consciente. Elle dit que ça va. Évidemment, si Riley était consciente, elle n’allait pas répondre autre chose.

– Et ça se soigne ?

– On n’en sait rien. On va bientôt être fixés. Sa mère employait le fameux « on », vague, flou, démoralisant. En général, elle n’hésitait pas une seule seconde à se désolidariser de son mari. D’habitude, cela agaçait Alice, pourtant, aujourd’hui, elle aurait trouvé ça plus rassurant. Mais la situation était si grave que, une fois n’est pas coutume, leurs problèmes de couple passaient au second plan.

– J’arrive, annonça Alice.

Elle aurait voulu que sa mère réponde. « Non, ce n’est pas la peine. On va bientôt rentrer. » Mais à la place elle précisa :

– Demande la chambre 694. Devait elle prévenir Paul avant de partir ?

Il s’habillerait en vitesse pour l’accompagner. Il n’hésiterait pas une seule seconde. Il serait inquiet pour Riley.

Sans trop savoir pourquoi, elle ne le fit pas. Elle sentait la bruine glacée sur ses bras nus. Les vagues se brisaient sur le front de mer, la trempant des pieds à la tête. Tête baissée, elle fila droit à l’embarcadère du ferry.

Elle s’assit sur le banc et attendit. Elle ne savait même pas à quelle heure partait le prochain bateau. Elle ne savait même pas quelle heure il était. De toute façon, il n’y avait rien d’autre à faire que d’attendre le prochain.

C’était sa pénitence. Elle entendait encore l’alternance de coups longs et courts résonnant dans la nuit. Elle s’était presque bouché les oreilles, pour ne pas être dérangée. Elle était tellement sûre que ce malheur frappait quelqu’un d’autre. Elle s’était presque réjouie qu’il soit si éloigné de son bonheur. Oh non ! Comment avait-elle pu être aussi inconséquente ?

Elle attendit. C’était tout ce qu’elle avait trouvé pour se punir d’être restée blottie au chaud, tout contre Paul, alors que sa sœur était transportée d’urgence à l’hôpital.

  

Alice s’assit sur le lit de la courageuse petite malade, essayant de comprendre pourquoi ses parents avaient paniqué à ce point.

– J’ai rêvé que j’étais sous l’eau, je n’avais plus d’air, et j’inspirais de l’eau. Ça t’est déjà arrivé ? Le problème, c’est que, quand je me suis réveillée, ça a continué. J’avais toujours l’impression que je n’arrivais pas à respirer et que mes poumons se remplissaient d’eau.

– Eh ben !

Riley haussa les épaules.

– Maman m’a entendue en passant dans le couloir et quand j’ai voulu lui expliquer, elle a paniqué et appelé les secours.

Alice hocha la tête. Elle passa ses jambes pardessus celles de sa sœur, comme un petit pont.

Riley la laissa réchauffer ses mains glacées dans les siennes.

– C’était un peu exagéré, l’hélico et tout. Mais bon voilà.

Etait ce vraiment exagéré ? C’est ce qu’Alice aurait voulu savoir.

– Et tu respires mieux, maintenant ?

– Ouais, ouais, ça va.

Sa sœur se redressa dans son lit en demandant :

– Tu as prévenu Jim ?

– J’ai laissé un mot au poste de sauvetage disant que tu étais malade.

Alice ne voulait pas trop en faire pour ne pas donner l’impression que la situation était grave.

– Tu ne lui as pas parlé en personne ?

– Non, il n’était pas encore arrivé. Pourquoi ? J’aurais dû ?

– C’est bon. Je l’appellerai tout à l’heure. Riley repoussa ses cheveux en arrière. Elle n’avait pas vraiment un teint habituel.

– Si tu le vois… ne lui dis rien, d’accord ?

– Tu ne veux pas qu’il sache que tu es ici ?

– Non, il va croire que c’est grave si tu parles d’hosto.

« Mais justement peut-être que c’est grave », s’inquiétait Alice.

– Quand doit repasser le médecin ? s’enquit elle.

– Lequel ? Y en a un paquet.

– Je ne sais pas. Le cardiologue.

Riley fixa le bout de ses pieds.

– J’espère que je serai sortie à temps pour prendre le ferry de 13 h 55. Je donne mon dernier cours de natation à quatre heures cet après-midi.

– Tu veux que je les appelle ?

– Non. J’y serai peut-être. Enfin, je vais m’en occuper.

Elle montra du doigt un sac en toile posé sur une chaise, dans un coin.

– Tu peux regarder si j’ai mon portable ? Alice fouilla à l’intérieur.

– Où est passé ton sac habituel ?

Comme Riley ne répondait pas, elle se tourna vers elle.

– Je l’ai perdu, répondit-elle, sur la défensive.

Alice fut surprise par son expression méfiante. Elle n’avait pourtant pas voulu la pousser dans ses retranchements.

– Je ne vois pas ton téléphone. Je vais aller demander à maman, OK ?

Elle avait hâte de sortir de la chambre et d’obtenir quelques réponses à ses questions.

Elle trouva sa mère assise dans un recoin du couloir, aménagé en salle d’attente, la tête dans les bras.

– Tu crois que Riley va sortir cet après-midi ? Judy lui jeta un regard noir, comme si elle venait de cracher sur ses chaussures.

– Riley a été hospitalisée en urgence, Alice.

Elle s’efforça d’avaler la grosse boule d’angoisse qui lui montait dans la gorge. Elle aurait voulu s’en tenir à la version de sa sœur.

– Qu’est ce que ça signifie ?

– Ça signifie qu’il n’est pas question qu’elle sorte aujourd’hui.

D’habitude, les drames galvanisaient sa mère, même les plus affreux. Mais, aujourd’hui, elle paraissait vidée, éreintée.

– Les médecins tentent de comprendre ce qui s’est passé. Ils ont prévu de lui faire subir une batterie de tests aujourd’hui.

– Où est papa ?

– Au téléphone avec la compagnie d’assurances.

Il avait fallu si peu de temps pour que Riley redevienne leur petite fille. Si peu de temps pour qu’ils reprennent complètement sa vie en main. Elle avait vingt quatre ans, mais ils ne lui laissaient même pas le volant un instant. À qui la faute ?

– Elle va s’en sortir ?

Judy n’aimait pas les questions qui servaient juste à se rassurer.

– C’est ce qu’on essaie de savoir.

– Je reviens demain matin, promit Alice à sa sœur.

Au fil de la journée, puis de la soirée, des infirmières étaient venues lui prélever plusieurs tubes de sang, lui faire passer un électrocardiogramme, puis un genre de scanner. Alice et Riley gardaient les yeux rivés sur l’écran de télé où une femme construisait une terrasse dans une émission de téléréalité interminable dont le but était de transformer un taudis en palace.

Alice scrutait le visage des infirmières, comme on fixe celui des hôtesses de l’air lorsqu’il y a des turbulences en plein vol. En savaient elles plus qu’elles ne voulaient bien l’avouer ?

La nuit était tombée. Elle aurait de la chance si elle parvenait à prendre le dernier ferry. Son père ronflait, affalé dans l’unique chaise de la chambre.

OK.

Riley avait l’air mélancolique. Elle l’enviait de retourner sur l’île. Dès qu’on la quittait, Fire Island perdait toute réalité. On avait du mal à imaginer que la vie continuait là-bas lorsqu’on se trouvait dans un endroit comme celui-ci, où il fallait prendre des décisions, faire des choses réelles.

Riley avait l’air d’une petite fille, perdue dans sa pile d’oreillers. Au moment où Alice allait partir, elle se redressa.

– Hé, Al. Je peux te demander un service ? Elle se retourna, surprise.

– Oui, bien sûr.

Elle aurait été ravie de pouvoir faire quelque chose.

– Ce que tu veux.

– Quand tu verras Paul, ne lui dis rien, d’accord ?

Alice fixa le lino tacheté, tous ses espoirs anéantis. Mais, Riley…

– Je t’en prie, Alice. Je ne veux pas que tout le monde se mette à jacasser avant d’être fixée sur mon sort.

– Mais Paul n’est pas du genre à jacasser. Tu le connais.

Le visage de sa sœur était soudain devenu impénétrable.

– Je sais, mais quand même. Ne lui en parle pas, OK ? Tu me le promets ?

Alice sentit le désespoir la saisir, doublé d’une terrible culpabilité. La seule chose que sa sœur lui demandait, elle ne voulait pas la lui accorder.

– Riley…, commença-t-elle.

Elle avait l’esprit embrouillé. Pas plus tard que cet après-midi, elle était persuadée qu’elle allait pouvoir reprendre ses cours de natation.

Riley laissa un instant tomber le masque. Soudain elle ne lui parut plus ni hébétée ni délirante. Comme si elle avait deviné les réserves d’Alice, l’excuse qu’elle pensait avancer.

– Si j’ai quelque chose de grave, je veux le lui annoncer moi-même. Je pense que c’est mon droit.

Alice acquiesça. C’était une demande des plus sérieuses, que Riley justifiait par des raisons fallacieuses, mais comment pouvait elle la lui refuser ?

– Alors qu’est ce que je dois dire ? Qu’est ce que tu veux que je raconte aux gens ?

– Lundi, c’est la fête du travail. J’appellerai Jim pour me faire remplacer s’il le faut. Et après, tout le monde s’en va, de toute façon. Si on te pose des questions, dis que j’ai dû rentrer à New York quelques jours plus tôt.

Alice acquiesça à nouveau.

– Promis ? insista Riley. Elle s’humecta les lèvres.

– Promis, répondit Alice. Que pouvait elle dire d’autre ?

Alice.

Paul l’attendait dans la cuisine. Jamais elle ne l’avait vu faire cette tête, elle avait failli ne pas le reconnaître.

– Où étais tu passée ?

Elle y avait réfléchi. Elle avait essayé de se préparer. Ayant raté le dernier ferry, elle avait dû marcher des kilomètres, elle avait donc eu largement le temps de réfléchir. Peut-être trop. Tous les mensonges qui auraient pu lui venir spontanément s’étaient perdus en route, ensablés.

Elle fixa son attention sur les jointures de ses doigts.

– On a pris le ferry tôt ce matin, répondit elle en baissant les yeux.

Elle ne se jeta pas à son cou comme avant. En principe, elle aurait déjà été sur ses genoux. Ils auraient déjà été à moitié nus. Elle avait l’impression que son corps était constitué d’un nombre incalculable de morceaux sans lien entre eux, désarticulés. Et Paul semblait souffrir du même mal.

Elle approcha. Ses yeux se remplirent de larmes. Elle avait envie de s’effondrer, mais elle ne pouvait pas le faire dans ses bras.

Elle revenait toujours à ce moment, la nuit dernière, où la sirène hurlait alors qu’elle était contre lui. Elle se repassait la scène encore et encore, ressentant le bienêtre qu’elle éprouvait alors. Mais il n’est pas un instant de la vie qui ne soit susceptible d’être réécrit et transformé par le temps, pas un bonheur, même le plus intense, qui ne risque de causer votre perte quelques heures plus tard.

– Tous les quatre ? Vous êtes partis comme ça ? Et où sont les autres ?

Alice découvrit qu’elle avait plus de facilité à mentir lorsque son visage était en partie caché. Elle se moucha donc dans une serviette en papier.

– Ils sont rentrés à New York quelques jours plus tôt que prévu, récita-t-elle docilement.

– Riley est rentrée plus tôt ? Pourquoi ?

– Ah !… Euh… elle avait une réunion, je crois. Pour sa prochaine formation d’éducateur sportif.

Qu’est ce qu’elle racontait ? Il pencha la tête, sceptique.

– Et toi ?

Qu’allait il penser ? Elle voulait le protéger, l’empêcher de se poser des questions. Que pouvait elle inventer qui le rassurerait sans dévoiler la vérité ? Elle était épuisée, à bout de forces. Elle n’avait jamais su mentir et ne possédait ni la mémoire ni la rigueur nécessaire pour échafauder un scénario de grande envergure.

Elle avait déjà trahi Riley. Ils l’avaient trahie, tous les deux. Elle ne se sentait pas capable de recommencer.

Elle ne pouvait tout de même pas lui raconter n’importe quoi. Si elle inventait un truc, ça ne tiendrait pas debout. Elle n’osait pas. Paul était tenace, perspicace. C’était lui qui aurait dû faire des études de droit.

Son visage se durcit.

– Alice, dis moi la vérité.

Ça devenait un interrogatoire. Ils étaient chacun dans un camp. Une ligne les séparait. Il n’avait plus confiance. Et il avait raison parce qu’elle lui mentait.

Malgré tout ce qui s’était passé entre eux, tout ce qu’ils avaient ressenti l’un pour l’autre au fil des années, leur franchise réciproque n’avait jamais été remise en question. Ils étaient, l’un envers l’autre, d’une franchise parfois brutale. Souvent brutale, même.

Elle brûlait d’envie de lui dire la vérité. Mais plus elle le désirait, plus elle se sentait coupable, plus elle avait l’impression de mériter sa punition. Elle entendit encore la sirène résonner dans sa tête. C’était la punition parfaite, un trait de génie.

Bon, elle n’avait qu’à monter s’enfermer dans sa chambre.

– J’ai fait quelques courses, un peu de shopping, marmonna-t-elle dans sa serviette en papier.

– Il y a un problème ? Qu’est ce qui se passe ? Il commençait à sérieusement perdre patience.

– Pourquoi restes tu loin de moi, comme ça ? Elle croisa les bras.

– Parce que je suis fatiguée. Je vais me coucher.

Le désarroi avait remodelé ses traits. Son visage se fermait petit à petit.

Comment pouvait elle le repousser ainsi ? Elle savait ce qu’elle risquait. Mais elle ne pouvait pas passer la nuit avec lui après ce qui s’était passé.

– On se voit demain ?

Sa voix était tellement aiguë et étranglée qu’elle dut se racler la gorge et recommencer.

Elle détourna les yeux pour ne pas voir son regard.

La seule chose qu’elle savait, c’est qu’elle ne méritait ni plaisir ni réconfort. Son cœur ne méritait pas mieux que celui de Riley.

  

Paul longea la promenade déserte. Les réverbères dispensaient une lumière bleue et froide de purgatoire. Le vent soufflait de manière erratique, couchant les herbes des dunes, bruissant dans les feuilles argentées. Le sommeil le fuyait. Alice le fuyait. L’univers entier se résumait à ces deux faits.

Il aurait voulu se convaincre qu’il y avait une explication toute simple, qui arrangerait tout, mais il n’était pas si naïf.

Évidemment. Pourquoi l’avait-il évitée si longtemps ? Toutes ses raisons lui revenaient, mais trop tard, le mal était fait. Il attendait trop d’elle. Elle avait vu tout ce qu’il lui demandait, l’immense vide qu’elle avait à remplir. Et le peu qu’il avait à offrir en retour. Comment pouvait elle continuer à l’aimer ? Il n’aurait pas dû lui dévoiler tout ça.

Il marcha sur la plage du golfe, bien nette et ratissée, juste à côté de l’embarcadère des ferries. La plage des bébés, comme ils l’avaient surnommée dès qu’ils avaient passé l’âge d’y aller. Un duvet verdâtre flottait à la surface de l’eau. Pourtant toutes les leçons et toutes les compétitions de natation avaient lieu ici. Dans les gaz d’échappement du ferry, au milieu des taches d’essence irisées. Après les gamins passaient des heures sous la douche et les animateurs les vaporisaient de spray refroidissant des pieds à la tête pour qu’ils ne ramènent pas de puces de mer à la maison.

Il regarda la chaise du surveillant de baignade, haute silhouette noire dominant la plage. Riley n’y avait pas passé beaucoup de temps, impatiente d’être affectée à une vraie plage donnant sur l’océan et non sur les eaux tranquilles de la baie. Il se rappelait le jour où elle avait été promue ; ils s’étaient fait la promesse de ne plus jamais se baigner dans la baie. La plupart des gamins méprisaient les plages de ce côté de l’île, parce qu’ils étaient pressés de passer dans le camp des grands. Ce n’était pas ce qui motivait Riley. Elle était fascinée par l’océan parce qu’il était sauvage et libre.

Paul grimpa sur le ponton, si désert qu’on entendait les planches craquer, et l’eau battre les piliers. Il jeta un œil pour voir si ces idiots de crabes étaient bien sous leur réverbère. Il revit Alice les chasser sans pitié, eux qui aimaient tant la lumière.